Tesla, le talon d'Achille d'Elon Musk ?
Un mouvement de boycott et de désinvestissement contre la firme prend de l'ampleur aux États-Unis et en Europe. À court terme, il s'agit probablement de la stratégie d'opposition la plus efficace.
Ce week-end avait lieu une nouvelle série de manifestations devant les points de vente, les chargeurs et les concessionnaires Tesla américains. S’il est difficile d’établir un décompte officiel, il semblerait qu’une cinquantaine de lieux aient été visités par quelques milliers de personnes à travers le pays. Il ne s’agissait pas de blocages ou de vandalisme, mais de manifestations et campements s’étalant sur plusieurs heures. Selon les témoignages publiés par les participants, l’accueil des automobilistes passant devant les pancartes et attroupements fut très positif, y compris de la part des propriétaires de Tesla.
Le but n’était pas d’empêcher ces derniers de venir faire la révision de leurs véhicules ni aux clients d’acquérir des Tesla ou de recharger leurs voitures, mais bien de faire comprendre à tout acheteur potentiel que sa décision n’était pas anodine, et à tout propriétaire de Tesla qu’il sera désormais associé à un néonazi pillant les caisses de l’État.
Le mouvement vise autant à dissuader les acheteurs qu’à convaincre les propriétaires de revendre leurs Tesla. En effet, plus le marché de l’occasion sera inondé de Tesla, plus la valeur des Tesla se dépréciera. Ce qui peut entrainer un cercle vicieux : moins d’acheteurs de véhicules neufs ou d’occasion (par peur de la dépréciation), effondrement des prix de l’occasion, moins d’acheteurs de neuf et ainsi de suite.
Le mouvement vise aussi à dissuader les boursicoteurs et investisseurs à acheter des actions Tesla tout en les encourageant à se séparer des leurs. Une baisse du cours de l’action pourrait être accélérée par la chute des ventes de véhicules Tesla. Si les investisseurs commencent à comprendre que les ventes ne risquent pas de repartir à la hausse rapidement, ils pourraient vendre leurs actions par anticipation, provoquant ici aussi une spirale négative.
Ce mouvement de boycott et de désinvestissement fait écho à celui organisé par certains activistes conservateurs contre des entreprises jugées trop “woke”, mais rappelle surtout le mouvement BDS contre Israël et le boycott victorieux ayant ciblé le régime d’apartheid sud-africain (ironie de l’histoire).
Le meilleur outil pour contrer Musk
Pour les Américains dépités par les saluts nazis d’Elon Musk et le démantèlement éclair de l’État fédéral qu’il mène à la tête du DOGE, il est difficile d’identifier des leviers de résistance. Le Parti démocrate semble déterminé à faire l’autruche et le pouvoir judiciaire dispose de moyens limités. Musk flirte déjà avec l’idée d’ignorer les décisions de justice visant à bloquer ou ralentir son action. Et même s’il était inculpé pour quoi que ce soit, Donald Trump pourrait le gracier immédiatement.
D’où la popularité des actions ciblant Musk personnellement. Si ce dernier n’a aucune chance de reculer suite à de simples manifestations ou un effondrement de sa popularité (il n’est pas un élu et ne peut espérer se présenter à la présidentielle, car étant de nationalité sud-africaine), il pourrait être défait par des actions ciblant Tesla.
En effet, l’écrasante majorité de la fortune d’Elon Musk provient de Tesla, dont il est le principal actionnaire et PDG. Si le cours de l’action était divisé par quatre, la fortune de Musk le serait peut-être par deux ou trois, mais là n’est pas l’essentiel de l’enjeu.
Musk a emprunté beaucoup d’argent via des dettes garanties par ses actions Tesla. Que ce soit son rachat de Twitter ou certains investissements dans SpaceX, Musk utilise à fond l’effet de levier permis par son capital. Si le cours de Tesla chute, Musk devra vendre des actions Tesla pour garantir ou rembourser ses dettes, ce qui entrainera une nouvelle chute du cours et amorcera une spirale négative susceptible d’engloutir une bonne part de ses fonds.
Or, ce dernier tire une grande partie de son pouvoir de sa fortune : c’est parce qu’il a aligné plus de 180 millions de dollars en faveur de Donald Trump que ce dernier le laisse pratiquement gouverner à sa place. Les autres élus républicains sont terrifiés par Musk et prennent très au sérieux ses menaces. Sur le vote du budget, Musk a promis que chaque élu républicain qui votera contre sa volonté aura un candidat bien financé face à lui aux prochaines primaires (dans 18 mois pour les élus de la Chambre des représentants du Congrès et un tiers des Sénateurs). Supprimez sa fortune et son pouvoir s’effondre. Sans parler de son aura de génie visionnaire qui serait durablement écornée par l’éclatement de la bulle Tesla.
Provoquer une baisse des ventes de voitures Tesla ne sera pas suffisant, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’une entreprise surcotée. Début février, Tesla était la 8e plus grosse capitalisation boursière, avec 1200 milliards (deux fois et demie le géant pétrolier ExxonMobil). Comparé aux autres constructeurs automobiles, Tesla pèse 5 fois Toyota et 30 fois General Motors ou Ford. Or Tesla vend entre 5 et 7 fois moins de véhicules qu’eux. Son bénéfice (9 milliards de dollars en 2024) la place au 8e rang des constructeurs automobiles et signifie qu’à profit constant, il lui faudra 100 ans pour générer un bénéfice égal à la capitalisation boursière de l’entreprise.
Même l’estimation de la valeur de la marque Tesla (48 milliards, en chute de 15 % par rapport à 2024) est comparable à Toyota (65 milliards) et très en dessous des autres géants de la Tech (la valeur de la marque Apple est estimée à 575 milliards de dollars, celle d’Amazon à 356 milliards).
Autrement dit, le cours de l’action Tesla est totalement décorrélé des ventes, des bénéfices ou même de l’image de la marque. Il est purement spéculatif et s’explique par la croyance aux promesses de Musk sur l’arrivée des robotaxis, des androids et autres systèmes de conduite autonome. Soit des promesses qui datent de 2018 !
À l’inverse, les fondamentaux sont inquiétants. Le dernier modèle Tesla (le Cybertruck) est un échec commercial. Plus généralement, les ventes de Tesla ont reculé pour la première fois de l’histoire de l’entreprise en 2024, alors que la firme cassait les prix et réduisait ses marges pour stimuler la demande. Résultat, le chiffre d’affaires de 2024 était en dessous des prévisions des analystes. Et comme le rapportait récemment Libération les ventes de Tesla se sont effondrées en Europe au mois de janvier. Il est encore trop tôt pour dire si ce phénomène sera durable, mais ces difficultés sont antérieures au salut nazi de Musk, à son soutien actif au parti d’extrême droite allemand AFD et à l’assaut antidémocratique de son DOGE contre le gouvernement fédéral américain.
Même sur le front de l’innovation, Tesla semble perdre son avantage. Son principal concurrent chinois (BYD) produit des voitures moins chères et désormais équipées en série du système de conduite autonome comparable à l’autopilot de Tesla. D’autres constructeurs proposent soit des voitures électriques de meilleur rapport qualité-prix, soit des systèmes d’aide à la conduite plus performants. Et Google est en passe de capter le marché des taxis autonomes avec sa filliale Waymo. On voit mal quel miracle pourrait permettre à Tesla de produire le type de rendement financier suggéré par la valeur de ses actions.
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Puisque le cours de Tesla repose sur une bulle, il est d’autant plus facile de la faire éclater. Il “suffit” que suffisamment d’investisseurs perçoivent la détérioration de l’image de Tesla et s’inquiètent du ralentissement des ventes pour qu’ils décident de prendre leurs bénéfices avant que le prix de l’action ne chute durablement.
Le boycott produit déjà des effets
Qu’on vive en Europe ou aux États-Unis, il est possible de participer au boycott. Soit en vendant sa Tesla et ses actions (si on en possède), soit en encourageant ceux qui en ont à le faire. L’action Tesla a perdu 25% de sa valeur depuis son pic à 480 dollars atteint le 17 décembre. Il reste cependant beaucoup de chemin à parcourir, le prix étant encore bien supérieur au niveau de l’été dernier.
Comme le rapporte WIRED, le boycott de Tesla (et les nombreux actes de vandalisme) montre des signes de contagion. Des entreprises se séparent de leurs parcs de véhicules Tesla (ou de leurs contrats de leasing), des blogueurs gérant des sites de fans se débarrassent de leurs véhicules. Des personnalités publiques et des influenceurs communiquent sur le fait d’avoir revendu leur Tesla. Cela touche aussi bien un youtubeur à l’humour gras comme l’Australien Ozie Man Review (6,5 millions d’abonnés) que la chanteuse américaine Sheryl Crow.
Il est significatif de noter que ce mouvement organique et décentralisé a pris beaucoup d’ampleur via le réseau social Bluesky et a reçu une couverture médiatique non négligeable compte tenu de sa modeste taille.
Musk est le talon d’Achille de Trump, et Tesla le point faible de Musk. Reste à savoir si ce mouvement sera suffisamment ample et durable pour être victorieux.
La Norvège est le deuxième pays au monde en nombre de Tesla malgré sa faible population. Actuellement des activistes posent sur les pare-brise des Tesla des notes en plastique jaune similaires au contraventions inscrites "Tesla nazi". Certains propriétaires ont porté plainte. D’autres propriétaires cachent la marque Tesla de leur véhicule certain en signe de boycott d’autres sans doute en pensant donner le change sur une autre marque sans se faire pointer du doigt.